Marcel Proust, la personne et sa famille – Une famille aimante

Parmi les nombreuses lettres que Marcel écrit en réponse aux condoléances reçues par la famille après la mort d’Adrien Proust en 1903, nous choisissons une citation qui témoigne de l’estime, de l’amour et de la gratitude qu’il porte à ses parents :  

‘Une mauvaise santé (que je bénis maintenant de m’avoir ainsi donné les meilleures années de ma vie) m’empêchait depuis quelques années de presque plus jamais sortir. J’étais tout le temps auprès de mes parents. Je ne dis pas que mon affection pour eux en était devenue plus grande, ce n’était peut-être pas possible. Mais elle m’avait donné des joies quotidiennes, que dis-je de chaque heure, que je n’aurais pas connue sans cela. La présence de mes parents mêlait aux choses les plus simples, aux actes les plus insignifiants une douceur infinie, presque pas sentie à ce moment-là, trop sentie hélas maintenant, et une sorte de consécration14.’  

Une autre lettre témoigne des relations chaleureuses au sein de la famille Proust et de la délicatesse avec laquelle ils se traitent les uns les autres, en particulier Marcel, de plus en plus malade. Peu après la mort de son père Proust, Marcel écrit à son amie la princesse de Caraman-Chimay : 

‘Papa était parti tellement bien. Et à puis quatre heures j’ai entendu parler dans le couloir et comme je sonnais pour qu’on ne parle pas parce qu’on faisait toujours silence quand je reposais, Maman par la porte ouverte sans que je la voie m’a dit qu’il ne fallait pas me fâcher (si vous saviez avec quelle douceur elle m’a dit cela) qu’on venait de téléphoner que Papa s’était trouvé malade à la Faculté et qu’on le ramenait15. 

Comme dans toute famille normale, il y aura eu des périodes difficiles, des querelles, des malentendus, des attentes non satisfaites, des moments de distanciation, etc., mais il y a peu de sources à ce sujet. Marcel a vécu avec eux jusqu’à la mort de ses parents. Il témoigne de relations amoureuses les uns envers les autres :   

“Quand Papa qui était aussi actif que je suis paresseux et sortait tous les matins remontait le courrier il me disait sachant ma joie : « Une lettre de Mme de Noailles ». Et Maman le grondait, lui disant : « Ne lui enlève donc pas son plaisir en le lui disant d’avance ». Et je vous assure que c’était une comédie très touchante16.’  

Nous n’avons pas besoin de parler de la mère Proust et de sa relation étroite avec Marcel, de la façon dont elle prend soin de lui, le protège, le garde, le chouchoute et le gâte. Tout cela est suffisamment connu. 

Mère Jeanne ne se remettra jamais de la mort de son mari et, en 1905, elle le suit dans la tombe. Peu après sa mort, Marcel écrit à son amie Anne de Noailles : 

« Elle emporte ma vie avec elle, comme Papa avait emporté la sienne 17».  

La relation de Marcel avec son père est parfois mentionnée comme tendue et difficile. Quelqu’un prétend même qu’une relation difficile entre les fils aînés et leurs pères est toujours le cas. Une proposition aussi simpliste nous semble provenir d’un psychologue amateur pratiquant le psychologisme de la foire. Le fait que la figure paternelle du roman inachevé Jean Santeuil ne soit pas dépeinte de manière trop positive est souvent pris pour une vérité biographique, et c’est faux. Le père Proust travaillait tout simplement beaucoup, était souvent loin de chez lui et laissait la majeure partie de l’éducation à sa femme. Des choses qui étaient plutôt la norme à l’époque et dans cet environnement. Bien sûr, le père Proust voulait que son fils aîné finisse bien. Bien sûr, il devait y avoir des tensions dans la maison Proust au sujet du mode de vie de Marcel. Bien sûr, il a dû être plus facile pour le père de voir son plus jeune fils sportif tonner à travers la vie, l’école puis sa carrière médicale.  

Le père Proust a également beaucoup écrit, mais seulement de la littérature professionnelle. Cependant, on ne connaît pas une seule lettre de lui. Cela laisse place à la spéculation qui reflète l’interprétation de son auteur plutôt que les faits.  

Il y a des traces qui indiquent le côté chaleureux de leur relation.  

Jean-Yves Tadié indique, sans source, qu’en 1890, après avoir lu l’article de Marcel dans le Mensuel, le père Proust aurait dit que Marcel serait un jour admis à l’Académie française18.   

Robert de Montesquiou écrit à Marcel :   

‘En ce qui vous concerne, c’est votre Père qui, je m’en souviens, me donna, un jour que je le rencontrai, cette sensation de l’absolu, dans la transposition noble du « Mes petits sont jolis ». Comme je lui demandais de vos nouvelles, il me répondit : « Marcel travaille à ces cathédrales. » Et la façon dont il articula le pronom me fit entendre qu’à ses yeux, le Moyen-Âge, ainsi qu’il convenait, n’avait œuvré que pour vous, en dentelant et faisant plier la pierre19’’.   

Marcel dédie sa traduction de la Bible d’Amiens de Ruskin à son père. 

Malgré les spéculations sur la rivalité entre les deux frères et l’envie de Marcel pour son frère cadet qui en est venu à menacer sa place exclusive dans le cœur de sa Maman, selon le biographe Painter et certains psychanalystes, les faits montrent qu’il existe un profond respect mutuel entre les deux.  

Ces faits sont que Marcel, pour qui l’écriture et l’édition sont au centre de son existence, envoie à Robert un exemplaire de son premier livre Les Plaisirs et les jours avec une dédicace manuscrite, une citation révélatrice de Corneille : « Ô frère plus chéri que la clarté du jour 20».   

Ces faits se trouvent également dans la correspondance de Marcel. En 1901, Marcel écrit à sa mère :  

‘Dick (=Robert) est vraiment une perle morale autant qu’intellectuelle et physique21.’ 

Marcel était « garçon d’honneur » au mariage de son frère en 1903. 

Que cet amour et cette estime soient réciproques, c’est ce que montre l’hommage que Robert Proust rend à son frère lorsqu’il écrit :   

‘Si haut que je puisse remonter le cours de mes souvenirs d’enfance ver cette période imprécise où se font les premières cristallisations de la mémoire, je retrouve constamment l’image de mon frère veillant sur moi avec une douceur infinie, enveloppante et pour ainsi dire maternelle22.    

Mais le plus grand hommage est que Robert, avec Jacques Rivière, malgré sa vie professionnelle chargée, investit des années de temps pour donner vie aux volumes restants de la Recherche à partir de cahiers, de feuilles volantes, de manuscrits et d’épreuves, et pour les publier ensuite.  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *