En restant aussi proche que possible des faits et en évitant autant d’interprétations que possible dans l’étude des biographies, des témoignages et de la correspondance abondante, nous avons un aperçu des relations chaleureuses au sein de la famille Proust.
Nous découvrons une famille normale, typique de son Zeitgeist et de son contexte social, et rencontrons un fonceur créatif, érudit, intelligent et surtout résilient et motivé qui, malgré ses limitations physiques, est capable de grands efforts.
Le contexte : l’histoire de deux familles
Adrien Proust (1834-1903), fils d’un épicier et d’un homme d’affaires aisé, petit bourgeois du petit village d’Illiers est un jeune homme intelligent, robuste et ambitieux qui devient médecin dans le grand Paris et mène une carrière ascendante à force de travail. Sa compagne, Jeanne Weil (1849-1905), était la descendante d’une riche famille juive d’industriels et d’agents de change. Jeanne Weil a reçu une excellente éducation, est cultivée, joue du piano, est trilingue et a une grande passion pour tout ce qui touche à l’art et à la culture. Les deux partenaires sont bien assortis l’un à l’autre : l’un apporte de l’argent, l’autre la perspective d’un statut social élevé. Un tel gagnant-gagnant plutôt commercial était courant dans les unions conjugales à l’époque. On ne pouvait qu’espérer que l’amour jaillirait pendant le mariage. C’était certainement le cas du couple Proust-Weil, qui aurait une relation chaleureuse avec un respect mutuel et un espace pour leurs différences.
La semaine suivant leur mariage, le 3 septembre 1870, la guerre éclate et les troupes prussiennes encerclent Paris. Cette occupation s’accompagne de lourds bombardements, après quoi le chaos est encore alimenté en 1871 par la révolte des Communards. Cette révolte est bientôt écrasée par l’armée gouvernementale par la force brute. Beaucoup périssent. Une grande partie de la capitale est en ruines. Beaucoup de gens perdent tous leurs biens. L’économie est à l’arrêt. Il n’y a pas de travail et donc pas d’argent. En quelques jours, 300 000 faillites sont déposées par des entreprises et des ménages. Il y a une pénurie de tout, les gens sont obligés de manger des chevaux, des chiens et des chats, même des rats. En raison de la position élevée de son père, la famille Proust-Weil a été épargnée par la famine, mais le jeune couple a dû endurer de nombreuses épreuves. Le Dr Adrien Proust refuse de renoncer à ce qu’il considère comme son devoir de médecin de continuer à soigner ses patients. Lorsque Jeanne, déjà tendue et inquiète à cause des circonstances, est enceinte de six mois, elle est terrifiée lorsque son mari est la cible de tirs dans la rue. Peu après, le jeune couple déménage à Auteuil où ils s’installent chez son oncle Louis Weil.
Marcel Proust est né le 10 juillet 1871. Être né d’une mère juive fait automatiquement de lui un Juif. La religion n’est pas une variable dans la famille Proust. Le petit Marcel est si faible que la famille craint qu’il ne s’en sorte pas. La faiblesse du bébé est attribuée aux tensions et aux angoisses que la jeune mère a dû endurer pendant la grossesse et au manque de nutrition adéquate. Marcel se bat pour s’en sortir et survit. Il montrera souvent cette résilience, cette volonté de vivre dans sa vie tourmentée. En tant que premier enfant d’un jeune couple, après une grossesse difficile, sans être gêné par l’expérience des enfants et un médecin comme père qui sait exactement ce qui peut mal tourner, l’anxiété et l’inquiété est grande. Jeanne se bat comme une lionne pour son premier-né et n’est-il pas normal, voire évident, que cela jette les bases de leur lien étroit mère-enfant ?
Le petit garçon attrape rapidement un rhume, a régulièrement toutes sortes de plaintes, la fièvre des foins, dort mal et souffre souvent d’indigestion. Cependant, il se rend vite compte que ces nombreux maux ont aussi des avantages : tout le monde, l’oncle et les tantes, le personnel de maison et surtout la mère font de Marcel le centre de la vie domestique.
Les contacts avec la famille Proust d’Illiers sont plutôt limités. Ils ne viennent même pas au mariage de leur fils. Non pas parce qu’il y a eu un désaccord, mais plutôt parce que Paris est un monde lointain pour ces villageois, où règne aussi l’état de siège. Et probablement aussi parce qu’ils ne sont pas très à l’aise avec la richesse de la famille Weil. Néanmoins, la jeune famille se rend régulièrement dans la campagne d’Illiers, où Marcel se souvient de ses étés de lecture. Ces visites s’arrêtent lorsque son rhume des foins et son asthme prennent le dessus.
La famille Weil est un cocon chaleureux et sécuritaire. Les oncles et tantes riches s’occupent de la jeune famille avec beaucoup d’amour. Pendant des années, tous les étés ont été passés à Auteuil avec l’oncle Louis. Adrien Proust est accepté dans le clan Weil, notamment parce que tout le monde est impressionné par son ascension académique et donc sociale constante.
En 1873, ils ont un petit frère, Robert Proust. Un petit garçon robuste et plein de vitalité qui deviendra un jeune homme sportif qui suivra les traces de son père en devenant lui-même médecin et professeur.
Comme pour tout enfant aîné, l’arrivée de la progéniture suivante nécessite un certain ajustement. Mais Marcel et Robert développent une relation chaleureuse pour la vie dès le début.
En bref, une famille saine avec des parents aimants, un nid chaleureux de la haute bourgeoisie, avec des défauts conformes à l’air du temps. Son père trichait, travaillait dur et était souvent loin de chez lui, jusqu’à des missions étrangères dangereuses. En 1869, par exemple, il a fait une longue expédition dans l’Est pour cartographier la propagation du choléra, de la peste et de la fièvre jaune, où il a couru le risque d’être lui-même infecté. En tant que médecin-chercheur, il s’intéresse à l’importance de l’hygiène, conçoit le cordon sanitaire comme mesure de protection et, avec ses collègues, contribue à la base d’une organisation internationale qui deviendra plus tard l’Organisation mondiale de la santé (World Health Organization).
La mère est (trop) inquiète et (trop) protectrice à l’égard de son fils aîné, mais elle gère le ménage, le personnel domestique et le budget d’une main ferme et inculque à ses enfants les bonnes manières, la force de caractère et l’érudition.
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